socrate
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Chapitre III - L'épreuve de la durée

69 - L’apport de l’hétérogénéité dans un groupe

Les premières années que j’ai consacrées à l’animation de séminaires en tant que tuteur indépendant m’ont apporté de grandes satisfactions. Pendant cette longue période j’ai réussi à maintenir qualité et efficacité. Je me suis astreint à cette pédagogie que je connaissais, et j’entendais le « bruissement » du groupe qui me prouvait que je faisais bien mon travail.

Je ne me souviens pas d’avoir révisé fondamentalement les conceptions sur la pédagogie à laquelle j’avais été initié, sauf sur le point, évidemment très important, des caractéristiques du matériel qu’il faut utiliser.

Un aspect, pourtant, dont le caractère crucial m’est apparu, c’est l’apport dans un groupe de l’hétérogénéité.

Les types d’apprenants que je formais dans mes séminaires étaient extrêmement variés.

J’avais dans un même groupe des apprenants de plusieurs pays : Des Français, bien sûr, mais aussi des Suisses, des Tunisiens, des Belges, des Italiens, des Espagnols, des Marocains, des Libanais, des Russes... pour lesquels venir à Paris était aussi un plaisir, peut-être une récompense.
J’acceptais, les jeunes, les adultes, les professionnels rassis, les débutants, les étudiants en dernier cycle de leurs études, les banquiers, les financiers des grandes entreprises... J’avais également des gens de tous « niveaux », dans tous les sens que l’on peut donner à ce mot : des cadres supérieurs et des employés, des diplômés de grandes écoles et des non bacheliers, titulaires ou non de brevets professionnels.
Cela ne m’a jamais gêné. Au contraire cela m’apparaissait comme un avantage.

Beaucoup de responsables de formation qui me confiaient leurs agents me demandaient : « Quel est le niveau de votre prochain stage ? » Ce que l’on attendait de moi, c’est que je dise : « Élevé », « moyen » ou « bac+2 » ou « bac+4 » ou encore « initiation », « perfectionnement », « professionnel avancé ». Je ne savais jamais quoi répondre.

La raison de mon embarras était que la question n’avait pour moi pas de sens.
Mes séminaires prenaient tout à la racine et pouvaient tout pousser jusqu’au point nécessaire aux plus exigeants.
Tout était accessible, chacun pouvait trouver tout ce dont il avait besoin, le renseignement élémentaire aussi bien que la technique subtile. Le niveau du séminaire ? Chacun le confectionnait pour soi, avec mon aide, avec l’aide du matériel, et en travaillant à sa manière.
Ce caractère devint encore plus évident lorsque le matériel fut informatisé, lorsque les informations ou les exercices devinrent accessibles à la pression d’une touche.

Il était clair aussi que les différences entre les apprenants favorisaient une dynamique très puissante.
Les gens communiquent d’autant mieux, et d’autant plus volontiers, qu’ils ne savent pas les mêmes choses, qu’ils ne poursuivent pas exactement les mêmes objectifs ni pour les mêmes raisons, qu’ils n’ont pas les mêmes facilités ni les mêmes difficultés ; en un mot, lorsqu’ils ne se ressemblent pas.
Je me souviens, c’est un exemple parmi des centaines, d’un intimidant directeur en veston croisé à qui j’avais donné comme coéquipier un très jeune employé d’un service administratif. Je me souviens de leur collaboration comme l’une des plus charmantes (et productives) que j’ai vues, de leurs deux têtes, l’une presque chauve, l’autre échevelée, penchées sur le même mystère. L’un cherchait les données à traiter, l’autre s’escrimait à les introduire dans l’ordinateur. Ils discutaient, s’expliquaient des choses et s’entendaient comme larrons en foire. Ils n’étaient pas du même « niveau » ni du même « milieu ». Ils arrivèrent pourtant tous deux au même point, comprenant parfaitement le pourquoi et le comment de tout.

Je n’ai jamais vu de grands professionnels, de ceux qui sont versés dans les calculs raffinés, qui connaissaient à la fois les techniques et les théories, s’impatienter sous prétexte qu’ils perdaient leur temps sur des notions trop élémentaires, dès lors qu’ils savaient qu’on arriverait aux concepts nouveaux qui les intéressaient. Ils appréciaient beaucoup cette occasion qui leur était donnée de décortiquer eux-mêmes leur environnement en l’expliquant à d’autres, avec ce point de vue à la fois général et détaillé qui part des fondations pour aller jusqu’au faîte du toit. Car il ne s’agissait, ni de simplifier, ni de vulgariser pour être compris par les plus « faibles », mais d’être précis, clair et complet. Et les plus « faibles » comprenaient, et eux aussi, contribuaient à la compréhension de tout par tous.

© Nicolas WAPLER- Septembre 2007