Éva est professeur de terminale. Voici ce qu’elle écrit sur son site Internet au sujet de l’art difficile de poser des questions ; un art qu’elle avoue avec humour ne pas bien maîtriser. Ses réflexions, que je propose pour illustrer les difficultés que peut vivre un enseignant résolu à pratiquer le questionnement, montrent pourtant qu’elle n’est pas loin du but. Elle me pardonnera (j’espère) d’avoir coupé son texte, si riche, pour ne citer que les extraits qui sont en relation avec notre propos.
« C'est amusant de poser des questions. C'est un peu comme un jeu. Il faut trouver la façon la plus efficace d'interroger, sans mettre la réponse dans la question ni, non plus, être trop vague et imprécis. La meilleure question est celle qui suscitera la réponse qui ira au coeur même des choses.
Amusant mais pas facile. J'ai, cette année, une classe qui me permet de m’entraîner à ce genre d'exercice. Les élèves sont-ils timides ? Sont-ils peu malins ? Quoi qu'il en soit, j'ai un mal fou à tirer de leurs lèvres des bribes de réponses. C'est presque toujours le vide total, le silence pesant lorsque je leur demande quelque chose de précis. Alors je reformule la question, prends le problème sous un autre aspect, contourne la difficulté pour l'aborder autrement. Mais toujours rien, ou plutôt, toujours, ces grands yeux qui s'arrondissent encore un peu plus. Après avoir posé ma question de dix façons différentes, au moment où je me demande, devant le silence, si je vais me cogner la tête contre les murs ou m'arracher les cheveux, j'entends une faible voix qui prononce un bout du mot que j'attendais, et je m'exclame avec joie : « Ouiiiiiiiii ! C'est ça ! Qui a dit ça ? ». Mais voilà ! Les yeux ronds s’en vont arrondir le bout de leurs chaussures, et personne ne veut avouer qu'il vient de remporter le gros lot.
Je ne crois pas être encore experte dans l'art d'interroger. Je ne ressemble à Socrate que de loin - de très loin. J'aimerais que la question mène mon interlocuteur vers le vrai. J’aimerais que ce soit lui qui trouve la réponse, et non pas moi qui la lui donne toute faite. Mon but idéal est de l'aider à "accoucher" la vérité.
Une question exige une réponse. La première ne trouve son sens et même sa réalité que dans la seconde. C'est logique. A toute question, est presque nécessairement accolée une réponse. La plupart du temps, elle est simple. Si je demande : "Quelle heure est-il ?" il suffit de regarder sa montre, la réponse est facile et elle tient en quelques mots. Bien entendu, certaines questions sont moins évidentes que d'autres mais à chaque fois, il y a une réponse strictement objective appelée par la question elle-même. Seulement il me semble que parfois les questions que je pose n'en sont pas. Elles sont plutôt des problèmes. Un problème, c'est ce devant quoi nous nous heurtons et qui nous empêche d'avancer. C'est un choc. Un choc parfois violent. Un problème désigne un paradoxe, une contradiction, et il ne pourra être élucidé que si on parvient à réconcilier les contraires, à unir les oppositions. La réponse à un problème n'est ni blanche ni noire, ni évidente, ni non plus impossible, heureusement ; mais elle est cachée. Elle est parfois si profondément dissimulée qu’elle peut être très difficile à trouver. »