Si l’enseignant ne fait pas de cours, au sens classique du mot, s’il n’explique que peu de choses, quel est son rôle ? Doit-il poser des questions aux élèves pour les inciter à réfléchir et à comprendre par eux-mêmes ? Il s’agit là d’un des thèmes sur lesquels nous nous sommes le plus interrogés. Nous étions conscients que poser des questions est difficile et que nous n’apprendrions vraiment à le faire qu’en situation réelle, devant un groupe.
Poser des questions ? Certes, mais en respectant certains principes. Nous avions trop de souvenirs de ces professeurs qui posent des questions incompréhensibles qui sont accueillies dans un silence glacial et auxquelles il finit par répondre lui-même.
Le problème consiste à mettre les apprenants sur une voie qui les entraîne, où les questions se posent comme d’elles-mêmes, appelées par l’ordre dans lequel on progresse dans la matière et par la dynamique que cet ordre sous-tend.
Quelles sont ces questions ? Ce sont celles qui peuvent provoquer chez les apprenants un étonnement, qui proposent un mystère aussi intéressant à percer que la recherche du mécanisme d’un tiroir secret, celles qui se présentent naturellement à l’esprit, jamais celles auxquelles les apprenants ne peuvent pas répondre, parce qu’ils ne se les posent pas, parce qu’ils n’en sont pas encore là, parce qu’ils ne peuvent pas encore en percevoir le sens, l’intérêt ou l’importance (*).
Je me souviens de cette remarque d’un collègue : « Il serait absurde de demander à quelqu’un comment est meublée la pièce d’à côté. Il ne peut pas répondre. Et en plus ça va l’agacer ! Il faut lui demander comment est meublée la pièce dans laquelle il se trouve. Il pourra répondre, et il aura probablement quantités d’idées sur ce qu’il faudrait faire pour la rendre plus confortable ou plus agréable ».
Et aussi : « Poser des questions, c’est bien, mais si ce sont les élèves qui se les posent les uns aux autres, c’est mieux ».
Et puis il y avait toutes ces autres questions, simples, directes, bienveillantes, ces questions qui rapprochent comme autant de mains tendues : « Que pensez-vous de tout ça ? » - « Où en êtes-vous ? » - « Comment puis-je vous aider ? » - « Voulez-vous que nous fassions une pause ? »
(*) Nous pensons souvent que la technique du questionnement (savamment désignée sous le nom d’ « ironie pédagogique» - du gr eirôneia = action d’interroger en feignant l’ignorance) exclut la sincérité, qu’il s’agit justement d’une technique, d’une sorte de manœuvre. C’est une erreur. Les questions suscitent très souvent des réponses intéressantes, une nouvelle manière de dire les choses, une idée originale, voire puissante. Lorsque nous interrogeons en ayant conscience que les apprenants peuvent beaucoup apporter, la sincérité est nécessairement au rendez-vous. L’ironie socratique était sincère et ne contenait sûrement pas la moindre trace d’ironie au sens où nous l’entendons et dont Verlaine disait qu’elle « fait pleurer les yeux de l’Azur ».
Il n’est pas de bon questionnement sans sincérité.