Un jour, pourtant, le miracle s’accomplit. Je réussis, parfois, puis de plus en plus souvent, à susciter la participation de tous. Je composais avec mes flèches, rapidement, simplement, clairement, les grandes lignes d’une question : « Imaginez la situation suivante : Que peut-on faire ? » Le problème, que je rejetais sur le groupe (au lieu de le charger sur mes propres épaules), générait presque automatiquement la réflexion. L’un ou l’autre osait une idée : « On pourrait faire ceci ! » Un autre suggérait : « ou cela ! » Un troisième n’était pas d’accord... C’est alors que s’enclenchait un mécanisme qu’il suffisait ensuite de guider par d’infimes remarques, d’alimenter par tel ou tel renseignement ou commentaire.
Je me souviens qu’alors, naissait ce « bruissement » dont j’ai parlé. Il agissait sur nous comme une sorte de baume réconfortant. Quelque chose s’ouvrait en nous, la conscience que nous étions bien ce tuteur qui est là non pas pour « expliquer » mais pour favoriser le « processus d’apprentissage ». Et le moment, gage suprême de succès, arrivait. J’entendais : « C’est très clair, la meilleure solution consiste à... » Ou : « Mais alors, la formule, on peut l’écrire ainsi ! » Et je lisais sur les visages de Fred et de mes collègues, la satisfaction compétente des connaisseurs qui savent apprécier « la belle ouvrage » ; mais surtout, je pouvais voir, entendre, palper la satisfaction des apprenants qui avaient le sentiment bien réel de comprendre et d’apprendre.
Pour ma part, c’est d’abord au bruit de la salle que je me rendais compte si je faisais bien, ou non, mon travail.
Après Townsend, nos deux collègues anglais furent les premiers à réussir.
Il est évidemment très superficiel de généraliser, et en particulier sur de soi-disant caractères « nationaux ». Je pense, cependant, qu’on peut dire que les Anglais ont des dispositions naturelles favorables au genre d’exercice que nous voulions faire. Ils ont peu de goût, - cela se sent dans leur conversation ordinaire, - pour les arguments péremptoires, les discours précis et bien organisés, les idées que l’on impose aux autres. Ils considèrent comme courtois de ne jamais rien affirmer et de montrer de l’intérêt pour ce que disent les autres, même lorsque cela leur semble faux : « Oh ! Really! Is that what you think? How interesting! »
Et c’est cela, au fond, que nous devions faire.
Nous arrivâmes tous à ce succès, et notre séminaire gagna la réputation d’être, de loin, le meilleur de la place. Un jour, nous eûmes les honneurs du Financial Times qui s’émerveillait que l’on puisse enseigner des techniques raffinées aux très sérieux messieurs de la City en les faisant jouer avec des flèches en plastique.