Townsend ouvrit la séance, gentiment mais un peu longuement, - en se présentant lui-même et en annonçant qu’il demanderait à chacun, juste après, de faire de même.
Il donna ensuite la parole à chacun, dans un désordre voulu et non pas dans l’ordre où les gens étaient assis ni dans un ordre alphabétique. Nous avions discuté de cette question et convenu que c’était là la meilleure façon de procéder.
Après cela, il constitua les trois groupes de travail de trois personnes entre lesquels il convenait de répartir les neuf apprenants.
C’était le seul véritable acte d’autorité que nous avions décidé de nous permettre.
Nous pensions qu’il était nécessaire que les gens fassent les exercices par petits groupes. Mais il fallait que ces groupes fonctionnent et, pour cela, que leur composition soit soigneusement méditée : Il fallait briser certaines affinités (les gens qui se connaissent déjà) - mettre les extravertis ensembles (pour qu’ils se neutralisent), mettre les introvertis ensemble (pour qu’ils soient forcés de sortir de leur réserve) - mettre un matheux avec un littéraire, un garçon avec une fille… que sais-je. Le but était de créer des mini-unités composées de gens dont on pouvait penser qu’ils communiqueraient bien. Cette composition devait se faire en fonction de ce que nous savions au préalable des apprenants et de ce qu’ils révélaient d’eux-mêmes en se présentant.
Les gens se levèrent et allèrent chacun à la place que Townsend leur avait assignée. Finalement, après ces préambules, il mit son groupe au travail.
Tous le long des cinq journées du séminaire, il fit passer ses apprenants de thème de réflexion en exercice et d’exercice en thème de réflexion, respectant l’ordre qu’il avait établi, mais sachant aussi laisser les gens s’en écarter.
Il composait au tableau ses schémas avec les grandes flèches, donnait les informations nécessaires, interrogeait les apprenants, leur laissait le temps de répondre, les incitait à créer des scénarios sur leurs tables à l’aide de leurs petits dominos, faisait venir l’un ou l’autre au tableau, suscitait des discussions.
Quant à nous, Fred compris, nous prenions des notes.
Townsend faisait peu d’erreurs (ces erreurs que nous fîmes tous lors de nos premiers essais). Il était pourtant clair qu’il se laissait parfois aller à trop « expliquer » et qu’il se comportait alors plutôt comme un professeur d’université américaine, (communicatif et parfaitement « helpful », mais quand même « prof »), que comme le tuteur que nous imaginions.
Un détail : Je me souviens du quasi-incident suivant.
Un apprenant, directeur de très haut grade, osa contester ce que Townsend était en train d’expliquer. Mon ami prit la mouche. Il s’ensuivit une discussion très serrée et très longue, qui se termina par la défaite complète du directeur, la victoire totale du professeur, la frustration des deux intéressés… et des autres apprenants qui s’étaient ennuyés… et de nous, les observateurs, qui notions sur nos carnets que c’était là l’exemple type de ce qu’il ne fallait pas faire.
L’ensemble, pourtant, fut pour nous une remarquable démonstration de ce que nous devrions faire.
C’est lors de nos réunions, après le départ des apprenants, que nous discutions de toutes les qualités et tous les défauts que nous avions observés pendant la journée.
Les qualités : Nous avions tous remarqué le « bruissement » caractéristique (dont je reparlerai) que les conversations entre apprenants qui travaillent activement ensemble produisent, et qui est la marque de fabrique d’un séminaire qui fonctionne bien.
Les défauts : Ces monologues pendant lesquels les apprenants cessaient d’être actifs, dont nous avions pu mesurer la relative inefficacité.
La discussion avec le directeur ? Fred, pensait que l’épisode était « très intéressant », et tout à fait propre à nous aider à progresser.