La date de nos premières sessions approchait. Certains d’entre nous commençaient à se sentir un peu nerveux. Étions-nous prêts ? N’avions-nous pas un peu trop plané dans toutes nos discussions ?
Nous nous imaginions dans la salle, face aux apprenants : Qu’allions-nous faire ? Qu’allions-nous dire ?
Certains d’entre nous suggérèrent de nous constituer une sorte de « pense-bête », une « check list », qui recenserait quelques idées simples auxquelles nous raccrocher.
Nous avons discuté et rédigé quelque chose. J’ai perdu ce document, mais il se présentait à peu près comme ceci :
- Accueil des apprenants (les mettre en confiance au fur et à mesure de leur arrivée, favoriser les échanges entre eux, pour qu’ils se connaissent le plus rapidement possible les uns les autres).
- Les inviter à s’installer, les détendre, se montrer proche d’eux.
Notre fiche comportait encore beaucoup d’autres points.
Fred n’approuvait pas cette fiche : « Elle ne vous aidera pas. Enseigner ne consiste pas à appliquer des recettes, mais à travailler dans un certain esprit. Lorsque vous rencontrerez une difficulté, il vous faudra imaginer une solution nouvelle. Vous ne la trouverez pas dans votre fiche ».
Notre collègue allemand, Rupert, lui, la défendit bec et ongles : « Moi, quand on veut que je fasse quelque chose, il faut qu’on me dise exactement ce que je dois faire et comment. La fiche est indispensable, et d’ailleurs nous aurions dû la rédiger il y a longtemps ! »
Il était de fort mauvaise humeur et il nous révéla que s’il allait animer le séminaire selon les idées que nous avions débattues pendant des semaines, ce n’était pas parce qu’il les approuvait, mais parce qu’on le lui ordonnait : « Moi, je pense qu’un professeur doit expliquer ce qu’il sait et que les élèves doivent écouter. C’est beaucoup plus simple. Maintenant si vous voulez qu’on fasse autrement, on fera autrement, mais avec la fiche ! »
La révolte (bien tardive) qu’il nous a montrée ce jour-là ne l’a pas empêché d’être un excellent tuteur.
Personnellement, la fiche me rassurait, mais je comprenais, bien sûr, ses limites.