Nos discussions ont toujours été très libres, nous n’avons suivi, apparemment, ni plan ni programme prédéfini. Nous n’avons pourtant jamais eu une impression de désordre, mais plutôt celle d’une bobine que nous aurions soigneusement dévidée en tirant sur le fil.
Jamais Fred ne nous a obligés à penser ceci ou cela. Lorsque nous ne le faisions pas spontanément, il nous branchait sur un sujet, une idée qui lui était venue à l’esprit, disait-il parfois, ou une question qu’il se posait et sur laquelle il aurait aimé avoir notre opinion. Nous donnions notre opinion, une discussion s’engageait et, finalement, nous tombions d’accord sur des conclusions qui parfois étaient très éloignées de notre point de départ. Nous passions alors à quelque autre thème qui nous intéressait ou qui l’intéressait, généralement lié d’une manière ou d’une autre au précédent. Nous avancions ainsi, et nos propos étaient le plus souvent structurés, mais d’une structure qui semblait naître d’elle-même, comme il en naît généralement dans une conversation entre gens qui partagent un même intérêt pour ce sur quoi elle porte.
Les idées que nous avons formulées, nous les trouvions naturelles, comme allant de soi. Nous nous égarions rarement dans des voies stériles dont l’inspiration eut été à l’opposé de celle dans laquelle Fred, sans que nous en eussions vraiment conscience, nous dirigeait.
Nous avons laissé de côté quantité de questions intéressantes. Tous les jours, nous nous interrogions sur certains aspects que nous ne pouvions pas aborder faute d’éléments concrets pour nous déterminer. Nous nous disions que la pratique se chargerait de nous donner les réponses adéquates. N’était-ce pas d’ailleurs le sens de ce que Fred nous dit un jour : « Toutes vos idées sont bonnes, mais je crois, quand même, que c’est quand vous serez en face de vrais élèves que vous découvrirez vraiment ce qu’il faut faire pour réussir ».
Et d’ailleurs ? Allions-nous réussir ? Fred prévoyait, en souriant, que nous n’y arriverions pas d’emblée mais qu’à force d’exercice dans un enseignement réel, nous réussirions. Pour lui, c’était une certitude.