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Lecture thématique

Le comportement du consultant pédagogique

Fred écoutait. Il se montrait parfois passionné par ce que nous disions. Il nous demandait de répéter telle idée qu’il trouvait intéressante ou à laquelle, disait-il, il n’avait jamais pensé.
Il ne posait jamais à « celui qui sait ». Il n’avait jamais l’attitude du maître qui est heureux de voir que ses élèves ont, enfin, réussi à comprendre ce que, lui, sait depuis longtemps. Une de ses grandes forces a été de ne pas nous donner le sentiment qu’il nous guidait dans un domaine qu’il maîtrisait et dont il voulait nous faire partager la connaissance. Il nous donnait l’impression, au contraire, qu’il était là pour nous aider à inventer une pédagogie efficace qu’il découvrait en même temps que nous avec émerveillement. Il se comportait comme un compagnon de voyage, engagé, comme nous, dans une exploration passionnante. Il ne se privait pas de dire de temps en temps son opinion, mais il ne l’imposait (presque) jamais.

Encore aujourd’hui, je me demande quelle était la part de l’art du pédagogue et la part de spontanéité dans ce sentiment qu’il nous donnait. Mais au fond qu’importe. Une pensée vraie que l’on construit soi-même n’est-elle pas plus vivante qu’une pensée qu’on écoute. Et, après tout, quelle manie avons-nous tous (et que n’avait pas Fred), de vouloir à toute force convaincre nos interlocuteurs que ce qu’ils viennent de dire de juste, nous le savons, nous, depuis longtemps,- comme si leur ingéniosité ou leur intelligence nous portait ombrage ! Tout ce que nous avons ainsi « découvert », formulé, mis au point, nous avions l’impression que c’était nos idées à nous, qu’il s’agissait d’idées de bon sens qu’il serait parfaitement regrettable de ne pas mettre en pratique.
Nous ne nous soucions pas du fait que ces idées, d’autres aient pu les avoir avant nous, ou aient pu les exprimer en des corps de doctrine nommés « pédagogie active » ou « pédagogie coopérative » ou même « pédagogie » tout court; des expressions que, d’ailleurs, nous n’utilisions jamais.
Ce sentiment était évidemment important : Une pensée que l’on a élaborée soi-même au prix de longues réflexions, et qui par surcroît a reçu l’aval de tout un groupe de gens avec lesquels on a travaillé, il est évident qu’on lui accorde un grand crédit. Ce n’est pas forcément le cas de la pensée d’autrui, si prestigieuse soit-elle, que l’on peut mal comprendre et qu’on a souvent envie de jeter aux orties à la première difficulté.
Nous n’en avions pas encore conscience, mais Fred, par toute son attitude, nous montrait, pendant ces séances, comment nous devrions nous comporter nous-mêmes avec nos futurs apprenants.

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© Nicolas WAPLER- Septembre 2007