Notre mission était que tout le monde suive le chemin, que tout le monde marche, que personne ne reste en arrière ou n’abandonne.
Nous étions là, nous, qui nous « observions » les uns les autres, pour nous le rappeler au moment des pauses : « Attention ! Tu es en train de « perdre » Linda… ». Et c’était vrai. Il était clair que la jeune fille en question, - si difficile à faire parler, - se tenait depuis une heure complètement à l’écart, qu’elle prenait cet air caractéristique des gens qui font semblant d’écouter, semblant de travailler, semblant de comprendre. Il fallait donc la récupérer, et pour cela, prendre les mesures qu’il fallait.
Nous alternions deux méthodes : nous asseoir à côté de la personne pour l’inciter à reprendre le fil en main, mais surtout, et c’était plus efficace, nous essayions de l’embarquer, je dirais « publiquement », de neutraliser les raisons de sa réserve. Cela demande beaucoup d’écoute et d’amitié. Il fallait trouver dans le groupe un allié qui accepte de lui parler, ou inciter le groupe dans son ensemble à participer à l’opération de sauvetage, en utilisant le côté un peu « saint-bernard » qui, heureusement, existe chez tout le monde. Cela marchait toujours.
Cette tâche est d’autant plus délicate que les causes qui poussent quelqu’un à « se retirer », à abandonner, sont nombreuses. Il faut donc analyser la situation pour y apporter le remède approprié.
Cette attention constante, comparable à celle d’un ouvrier qui doit surveiller en même temps une dizaine de cadrans et de voyants, est évidemment épuisante. Et il est si facile de renoncer, de se dire : « Non. Cette personne est trop difficile à rattraper, je l’abandonne, et après tout, un de chute, ce n’est pas si grave ! »
Mais, justement, nous considérions que « perdre » quelqu’un était une catastrophe, un échec impardonnable. Nous faisions donc le maximum pour que cela n’arrive pas.
...
Page 75