(Il existe) ... un préjugé, tout à fait faux et un peu sadique, qui veut que les difficultés où l’on voit quelqu’un se débattre soient « formatrices » :
Elles développeraient chez les individus des qualités qu’ils n’acquerraient pas autrement. Qu’ils se débrouillent ! On prétend les aider en ne les aidant pas.
Ce préjugé se développe parfois en une conception quasiment darwinienne et, quand on y songe, parfaitement contreproductive ; qu’il est normal que les « meilleurs » gagnent et que les autres soient mis au rebut. Cette conception ne s’appuie, naturellement, sur aucune définition de ce que peut bien être un « meilleur » et donne des résultats parfaitement aléatoires car ce ne sont pas forcément les meilleurs, loin s’en faut, qui surnagent.
Cette idée très présente dans l’entreprise, existe aussi à l’école, de manière moins brutalement avouée peut-être. Il n’en demeure pas moins qu’elle est constitutive du système scolaire.
C’est elle qui fait que l’on accepte sans sourciller qu’il y ait une « barre » entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent, et que ceux qui échouent soient jetés. D’ailleurs elle est bien commode cette barre, puisque aussi bien,- c’est une conviction très largement partagée,- il n’y a pas place à table pour tout le monde. Et puis elle permet de se défausser de ses responsabilités. Ceux qui sont au dessous de la barre ? C’est quand même bien de leur faute ! Que l’on n’ait pas fait ce qu’il faut pour leur permettre, à eux aussi, de parvenir à la connaissance, n’entre en ligne de compte que sous la forme d’une mauvaise conscience soigneusement refoulée.
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