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Introduction

Comprendre. Apprendre.
Ces deux verbes contiennent une forte charge émotionnelle. Pour beaucoup, ils évoquent l’effort, des obstacles à franchir, la compétition, les heures qu’il faut passer à essayer de mémoriser des cours, des jours entiers de lectures dans des bibliothèques et les devoirs que l’on doit faire à la maison, le soir, la tête penchée sur des livres qui donnent rarement les réponses aux questions que l’on se pose. Ils évoquent enfin l’échec, toujours menaçant et si souvent rencontré.

Pourquoi ?
Ne devraient-ils pas, au contraire, nous parler, d’abord, de découverte, de progrès, de réussite, de plaisir, de liberté ?
Pourquoi ont-ils si souvent pour prix les larmes de l’enfant, les soupirs de l’étudiant, la frustration du stagiaire et l’angoisse du professionnel qui se « recycle » ?
Pourquoi, surtout, considère-t-on si facilement que réussir n’est pas à la portée de tout le monde et que l’échec d’un grand nombre, sinon du plus grand nombre, est normal ?
L’enjeu est de taille. Il concerne l’épanouissement personnel de chacun et, par là même, celui de la société tout entière.

Si nous pensons que comprendre et apprendre devrait être le droit de tous et non le privilège d’une élite (quel que soit le sens que l’on donne à ce mot), nous devons nous demander : Qu’est-ce qui ne va pas ? A qui la faute ?
Est-ce la faute des livres qui ne seraient pas assez clairs ? Des programmes qui seraient inadaptés ? Des systèmes d’enseignement et de formation qui seraient engoncés dans des traditions sclérosées ? Des professeurs et des méthodes qu’ils utilisent qui seraient indigentes et archaïques ? D’une volonté collective défaillante ? De moyens financiers insuffisants ?
Nous pouvons, certes, nous interroger sur chacun de ces points, imaginer des solutions, des réformes. Ces réflexions sont utiles. Elles permettent sûrement d’avancer, d’améliorer les choses sur tel ou tel aspect. Mais touchent-elles à l’essentiel ? Je ne le crois pas, sauf à nous poser ces questions à partir d’un point de vue situé très en amont, au niveau, précisément, de nos deux mots : comprendre et apprendre.

*

Partons d’une réalité dont nous avons tous, - pour nous-mêmes en tout cas, - une très vive conscience : Comprendre et apprendre sont des phénomènes personnels, intérieurs. C’est dans l’esprit des « apprenants » que s’accomplit le mystère qui leur permet, - au terme d’un processus qui leur appartient et qui n’existe que s’ils s’y engagent et s’ils le maîtrisent, - de dire : « J’ai compris ! » - « Maintenant je sais ! »
Cette vérité évidente et banale mérite d’être énoncée tant ses conséquences sont importantes.

C’est à partir d’elle que nous pouvons nous interroger sur le rôle de l’éducateur, du livre, du système d’enseignement, de la pédagogie.
C’est à partir d’elle que nous pouvons comprendre que l’éducateur doit travailler en partant des besoins des apprenants tels que ces derniers les perçoivent.
C’est à partir d’elle que nous comprenons qu’il ne suffit pas de dispenser un cours, de démontrer, feutre en main, des théorèmes, ou de donner informations et explications, pour, après, laisser les gens se débrouiller tout seuls.
C’est à partir d’elle que nous comprenons que le rôle de l’éducateur consiste à aider les apprenants à s’engager dans ce processus personnel qui leur permettra de comprendre et d’apprendre, à les aider à le conduire jusqu’à son terme, qu’il consiste à leur faciliter la tâche, à faire en sorte qu’ils ne rencontrent pas de fausses difficultés et qu’ils puissent accomplir toutes les démarches intellectuelles qu’ils jugent nécessaires.
Bref, c’est à partir d’elle que nous pouvons nous poser correctement la question, la seule question, dont découle sans doute toute la pédagogie : Que faut-il faire pour aider efficacement les apprenants à comprendre et à apprendre ?
Tel est le sujet de ce livre.

*

Avant d’entreprendre sa rédaction, je me suis posé, parmi beaucoup d’autres, les deux questions suivantes :

Première question :
Avais-je la compétence et l’expérience nécessaire pour traiter ce sujet ?
J’ai été formé à une certaine approche de la pédagogie dont j’ai pu, en la pratiquant pendant près de vingt-cinq ans, éprouver la remarquable efficacité. Mon expérience, me demandais-je pourtant, n’était-elle pas trop partielle ? Elle a consisté en l’enseignement de certaines matières financières à des cadres et à des employés de banques et d’entreprises. Cela voulait-il dire qu’elle ne pouvait intéresser que mes collègues directs de la formation professionnelle et qu’elle ne concernait pas les autres éducateurs ? 
Et puis : La pédagogie des adultes n’a-t-elle pas des caractères spécifiques qui la distinguent de celles qui concernent les enfants ou les adolescents ?
Fallait-il que j’abandonne mon ambition qui était de parler d’efficacité pédagogique en général et non pas d’une pédagogie particulière qui ne serait applicable qu’à l’environnement qui m’était familier ?
Il m’est apparu que ce scrupule n’était pas fondé.

S’il existe, en effet, nombre de « méthodes » pédagogiques, et c’est heureux, conçues chacune pour un contexte donné, il n’existe en réalité qu’une seule pédagogie, une seule « manière », un seul « art » de conduire efficacement une mission éducative. Je veux parler de l’esprit et des principes qui devraient les sous-tendre toutes. Or c’est bien cela qui a été au cœur de ma propre formation à l’enseignement et de mon activité d’enseignant. De plus, cet enseignement, ne l’avais-je pas pratiqué dans des conditions telles qu’il était libre des deux contraintes qui enferment presque tous les éducateurs : un nombre ingérable d’élèves et un temps d’enseignement réduit, éclaté en « heures » de cours réparties sur une longue période ? Du fait de mes sessions aux durées largement calculées pour traiter des groupes d’apprenants au nombre limité, n’avais-je pas eu la possibilité, je dirais même le privilège, de faire fonctionner et de voir fonctionner dans des conditions exceptionnellement favorables cette pédagogie efficace à laquelle j’avais été initié ?
Il m’a donc semblé que je pouvais tenter de répondre à la question : « Que faut-il faire pour aider les apprenants à comprendre et à apprendre ? »

Deuxième question :
Quelle forme donner à mon travail ?
Je voulais rédiger un précis, concret et pratique, directement utile à ceux qu’il concernerait, où les différents aspects de cette « manière » pédagogique seraient identifiés, classés, définis, expliqués.
C’est sur cette idée que j’ai commencé mon travail, mais il m’a fallu rapidement me rendre à l’évidence suivante :
Tous les thèmes que j’abordais étaient, certes, clairs, mais dissociés de mon expérience concrète, ils m’apparaissaient comme desséchés, lyophilisés. Ils avaient perdu leur substance vivante. C’était des idées abstraites dont chacun sait qu’on peut les contester, les démonter, les retourner. Ils avaient perdu ce, je ne sais quoi, qui emporte la conviction et que seul un solide ancrage dans la réalité peut donner.
Il m’est apparu alors que le mieux était de ne pas séparer ces idées du contexte où je les avais rencontrées ; mon expérience.
C’est pour cela que j’ai pris le parti de donner à mon travail la forme d’un récit.
Au lieu d’analyser, d’expliquer, d’énumérer, j’ai décidé de raconter, comme on raconte une histoire, tous ces différents aspects de la pédagogie que je connaissais pour l’avoir pratiquée.
Il m’a semblé que cette forme me permettrait de rédiger un texte vivant, plus intéressant, plus nuancé, plus vrai, plus utile.
Il m’a semblé, en outre, que cette forme était la mieux à même de décrire ce qui, au demeurant, est avant tout un savoir-faire, pas une théorie.
Pour transmettre un savoir-faire, il faut « montrer ». Rien de tel, donc, que de dire comment on s’y est pris soi-même.

La forme « récit » présentait certes un danger :
Ne risquais-je pas de trop attirer l’attention du lecteur sur les matières que j’enseignais et sur les caractères spécifiques des populations qui assistaient à mes formations ? Ne risquais-je pas, par conséquent, de parler non plus de pédagogie, mais d’une « méthode » particulière ?
J’ai essayé d’éviter cet écueil en n’évoquant jamais les techniques financières qui étaient l’objet de mon enseignement sauf, et très rarement, lorsque elles me fournissaient des exemples simples et vécus me permettant d’illustrer de manière concrète une idée à caractère général. Pour ce qui est des populations concernées, je laisse au soin du lecteur la tâche de distinguer les développements qui, à l’évidence, concernent les apprenants toutes catégories confondues de ceux (ils ne sont pas très nombreux) qui concernent plutôt une population d’adultes. Si leur souci est la formation des jeunes, ils devront donc, parfois, faire un petit effort de transposition. Je ne crois pas qu’ils auront beaucoup de mal à reconnaître dans tel imposant directeur dont je parle tous les traits de caractère qu’ils se désolent à trouver chez tel élève qui leur donne tant de fil à retordre.

Il ne me fallait pas, toutefois, perdre de vue mon objectif initial, celui d’un ouvrage pratique, de portée très large et directement utilisable. Il fallait que les différentes questions soient abordées dans un ordre progressif et logique.
Certes, mon expérience offrait cet ordre mais, pas tout à fait quand même. J’ai donc parfois un peu « sollicité » la chronologie de mes souvenirs et de mes notes de façon à mieux développer mon propos.

Ces choix que j’ai faits sont-ils appropriés ? Je l’espère. Je me rassure en pensant que je n’ai fait qu’imiter les grands pédagogues de notre époque, Maria Montessori en tête qui, pour nous faire comprendre la pédagogie, ne parle dans ses livres que de son expérience concrète.

Il me reste maintenant à demander au lecteur sa complicité.
Ce livre a pour objectif de l’aider mais, fidèle à l’esprit qu’il décrit, il lui demande aussi de s’engager, d’en discuter, voire disputer, chacune des propositions. Bref, de le prendre comme point de départ de ses propres réflexions.
Ce qui est important c’est moins ce qu’il lira dans ces pages, que les idées qu’il élaborera lui-même pour son propre usage.

A qui s’adresse cet ouvrage :

A tous ceux qui sont engagés dans une mission éducative, mais aussi aux élèves, étudiants, jeunes et professionnels en formation, en leur apportant, une conscience plus claire de la légitimité de ce qu’ils, ou elles, ressentent comme étant leurs besoins d’apprenants, besoins qu’ils, ou elles, sont en droit de demander à leurs éducateurs de satisfaire.

J’espère enfin qu’il intéressera le public en général.
La pédagogie est encore la parente pauvre du débat public. Personne n’ose vraiment se prononcer à son sujet, pas même les politiques. On la croit réservée à des spécialistes, or il en est très peu d’autres dont les enjeux soient aussi importants, pour chacun et pour la société tout entière. Encore faut-il avoir une conscience claire de ce qu’est une pédagogie efficace pour pouvoir en discuter. C’est par là qu’il faut commencer et c’est bien l’objectif de ce livre : Montrer de manière concrète que l’ « efficacité » en pédagogie, ça existe !

Plan de l’ouvrage :

- Dans un premier chapitre : « Apprendre quand personne ne vous aide », J’évoque les difficultés à comprendre et à apprendre dans un environnement où la pédagogie est peu présente et, parfois même, carrément absente ; ces difficultés que rencontrent tant d’élèves et d’étudiants dans le cadre de leurs études, mais aussi les jeunes et moins jeunes du monde professionnel.
Je raconte ensuite les circonstances qui m’ont mis sur la voie de l’enseignement.

- Le deuxième chapitre : « Pédagogie : la rencontre », traite de la pédagogie elle-même. Je décris la manière dont elle nous a été présentée, à moi et à quelques collègues ; ses principales caractéristiques et ce qui a été fait pour que nous puissions la mettre en pratique.
C’est la partie centrale de l’ouvrage. On y trouvera exposés les grands principes de cette pédagogie, mais aussi, et peut-être surtout, cet autre aspect fondamental qui concerne la formation des éducateurs ; un apprentissage systématique sur le terrain, contrôlé à l’aide de méthodes et d’instruments précis, un apprentissage grâce auquel elle cesse d’être une collection d’idées intéressantes pour devenir un savoir-faire pratique.

- Le troisième chapitre décrit ce que j’appelle : « L’épreuve de la durée ». On y lira ce qu’il peut advenir de cette pédagogie lorsqu’un éducateur l’utilise pendant une très longue période ; les résultats remarquables qu’elle lui permet d’obtenir, les efforts qu’il doit faire pour la rendre toujours plus pertinente, mais aussi les dangers qui font qu’elle peut s’affadir entre ses doigts et perdre tout ou partie de son efficacité.

- La conclusion propose enfin une réflexion :
La pédagogie dont cet ouvrage décrit les aspects essentiels n’est pas une nouveauté. Elle existe depuis toujours. Elle est présente, au moins en filigrane, dans l’esprit de tous les professionnels de l’éducation qui, d’instinct, s’efforcent, quand ils le peuvent, d’en appliquer certains des principes. Et pourtant !
Sa pratique systématique ne s’est jamais vraiment répandue ni à l’école, ni à l’université, ni dans le cadre de la formation professionnelle.
Après avoir essayé d’identifier les raisons de ce fait, j’examine les facteurs qui, à mon avis, font qu’elle finira par s’imposer pour le plus grand bénéfice de tous. J’évoque enfin le rôle que les institutions pourraient jouer pour favoriser sa diffusion.

Sujet de ce livre :

Ce livre traite de l’efficacité en pédagogie et de ce qu’il faut faire pour l’atteindre, une approche souvent nommée : « pédagogie active », « participative », ou « coopérative », dont les remarquables résultats sont reconnus depuis des décennies.
Il s’agit d’un domaine où la difficulté ne se trouve pas dans les concepts. Ceux-ci sont très simples, faciles à exposer et tout aussi faciles à comprendre.
La difficulté c’est leur mise en pratique dans un enseignement réel. C’est alors qu’apparaissent les vrais problèmes, les doutes, le découragement, l’impression d’impuissance qui fait dire : « je n’y arriverai jamais » ; tous sentiments qui peuvent conduire aux concessions dangereuses et, parfois même, à l’abandon.
Pour réussir à pratiquer efficacement cette pédagogie deux conditions sont nécessaires :
Il faut y avoir été formé.
Il faut s’y être entraîné, de manière systématique et contrôlée, dans le cadre d’un enseignement réel, avec de vrais élèves.
Le sujet de ce livre est autant la description de cette pédagogie que son apprentissage.

Forme :

Ayant été entraîné moi-même à cette pédagogie, et l’ayant pratiquée pendant plus de vingt ans, c’est dans cette expérience que je puise la grande majorité des thèmes qui sont ici développés.
Cette expérience, en effet me fournissait :
- Les différents aspects de la pédagogie
- L’ordre dans lequel ils doivent être présentés
- Une mine d’exemples concrets permettant d’illustrer chacun d’eux.

C’est pour cette raison que ce livre se présente sous la forme d’un récit.

Organisation du texte :

> L’ouvrage est composé de paragraphes numérotés qui, chacun, expose le thème qui est suggéré par son titre. Chaque thème est amené par une étape de mon parcours qui lui sert d’illustration.
Mon expérience, toutefois, est loin d’être unique. Elle s’insère dans un mouvement, encore minoritaire, mais très ancien, de pratique de la pédagogie efficace que je décris.
Pour élargir l’enquête au-delà de mon expérience directe, et pour permettre au lecteur de faire des comparaisons, certains paragraphes présentent les idées de pédagogues très connus, ou développent certains aspects particuliers.

> Les deux chapitres centraux distinguent deux phases :

L’apprentissage par la pratique
L’approfondissement

Illustrations :
Leur raison d’être ? Permettre à l’œil de se reposer de la lecture, certes, mais surtout, « montrer », par le dessin, un des aspects fondamentaux de l’efficacité en pédagogie ; les relations qui doivent unir l’éducateur aux apprenants et les apprenants entre eux.

© Nicolas WAPLER- Septembre 2007