Profiter pleinement d’un enseignement dépend, on l’imagine facilement, de la motivation. C’est d’elle en effet que dépend la volonté des apprenants à s’impliquer dans un processus d’apprentissage, implication sans laquelle rien n’est possible.
La motivation est un sentiment très mystérieux et très complexe. Nos apprenants étaient tous recrutés sur une base volontaire. Ils étaient donc, en principe, motivés. Ce problème n’était donc pas le plus fréquent de ceux que nous devions affronter, mais il était, de loin, le plus difficile.
Comment motiver quelqu’un qui ne l’est pas ? C’est une des analyses à conduire les plus intéressantes et les plus utiles de la pédagogie. Je n’en ferai pas la théorie, mais évoquerai certains de ses aspects.
La motivation repose sur la perception du bénéfice que l’on tirera de nouvelles connaissances. Ces connaissances, pense la personne, lui permettront de progresser, de réussir un examen, d’exercer son métier plus facilement ou d’avancer dans sa carrière. D’autres raisons peuvent être : un authentique intérêt pour le sujet, la curiosité, le désir de se cultiver, de savoir, ou encore le simple plaisir de mettre ses neurones en mouvement.
Il y a un autre aspect. Il faut que l’effort à fournir n’ait pas l’air d’être disproportionné. Il existe un rapport entre les bénéfices attendus et les « sacrifices » qui en seront le prix.
Le problème se présente comme une sorte de fraction, la motivation n’existant que dès lors que son résultat est supérieur à 1.
Comment motiver quelqu’un ? En agissant sur le premier terme ? En s’efforçant de montrer l’intérêt ou l’utilité de la matière ? Certes, mais pour cela, il faut connaître la personne, connaître son passé, savoir quels sont ses goûts, ses ambitions, ses possibilités concrètes aussi. Contrairement à un éducateur qui peut suivre ses élèves tout au long d’une année, le tuteur d’un enseignement ponctuel ne reste avec ses apprenants que pendant un temps très bref. Il ne peut donc pas faire grand-chose sur cet aspect.
Il peut, par contre, puissamment agir sur le second terme, le dénominateur de notre fraction.
Sa tâche consiste à montrer d’emblée que les difficultés qui seront rencontrées sont surmontables, que jamais on n’en rencontrera d’artificielles ou d’inutiles, que, d’une manière générale, l’apprentissage se fera facilement, sans effort excessif. Il fera sentir aussi que l’activité que l’on entreprend sera stimulante, efficace et même amusante.
Tout cela, le tuteur ne doit pas se contenter de le dire, il doit faire en sorte que ce soit vrai. Il doit le démontrer chemin faisant. C’est l’essence même de son métier : faciliter la tâche des apprenants et, bien entendu, éviter à tout prix de la compliquer. En ce sens, son rôle ressemble à celui du cuisinier qui, selon l’auteur d’un très célèbre livre de recettes des années 1900, le grand Ali Bab, consiste à « rendre les aliments agréables et digestes ».
Beaucoup de gens surestiment les efforts qu’ils devront accomplir et sous-estiment les résultats qu’ils atteindront en termes de connaissances et de compréhension. Il faut les convaincre qu’ils se trompent.
Un exemple : Certains apprenants sont si persuadés de leur nullité en maths qu’ils sont prêts à tout lâcher dès la première addition. Notre enseignement était fait de manière à ce que les non-matheux puissent raisonner les aspects mathématiques que comportait notre matière. Notre tâche consistait à susciter leur confiance et à leur faire comprendre, à leur montrer, que rien de ce que nous allions faire n’était hors de leur portée.
D’autres, tout aussi difficiles à convaincre, étaient ceux qui se considéraient comme trop humbles, trop inintelligents ou insuffisamment gradés pour s’intéresser à la matière si prestigieuse que nous étudions. Il fallait leur prouver que toutes ces choses étaient des choses ordinaires et que personne n’avait jamais décrété qu’elles étaient un domaine réservé à une élite de forts en thèmes, et encore moins à une élite hiérarchique.